Création, continuités et ruptures
A) La rationalité remise en question ?
Lors du siècle des Lumières, le concept de Raison primait sur tous les autres domaines. Par ailleurs, le XVIIIè siècle s’impose comme un siècle de prise de pouvoir, de maturation des peuples, qui devenaient aptes à se gouverner eux-mêmes. Serions-nous désormais parvenus depuis l’après-guerre dans une ère de remise en cause critique de ce paradigme de la Raison ? |
1. Aristote et le premier paradigme de la physique
Selon Aristote, la Raison est ce qui distingue les Hommes des autres animaux. La capacité de l’Homme à utiliser les outils qu’il détient est fondamentale dans son mode de vie et sa capacité à survivre. Aristote, dans Les Parties des Animaux (IVè siècle av. J-C), écrit : « Anaxagore prétend que c’est parce qu’il a des mains que l’Homme est le plus intelligent des animaux. Ce qui est rationnel plutôt, c’est de dire qu’il a des mains parce qu’il est le plus intelligent ». Aristote fait ainsi preuve d’un certain anthropomorphisme, car il attribue une conscience et des intentions, des fins, à la nature : c’est ce que l’on appelle une conception finaliste : « la nature attribue toujours, comme le ferait un homme sage, chaque organe à qui est capable de s’en servir ». La comparaison est claire : la Nature est apparentée à un homme sage, c’est une conscience sage, une conscience capable de poursuivre des fins et de couvrir des intérêts. Selon lui, la science naît d’un souci d’établir des vérités universelles contre l’évidence des sens. (cf. caverne de Platon) |
2. Le repère rationnel de Descartes
Le Discours de la Méthode de Descartes a pour objectif de trouver une fondation de toutes les sciences, de toutes les réflexions sur une donnée invariable et indubitable. Il établit cette base de toutes les connaissances rationnelles sur les mathématiques : c’est la mathesis universalis. Cette thèse cartésienne, influencée par le siècle de la Raison, et notamment par les travaux de Galilée (scientifique italien et représentant de la thèse héliocentrique au XVIIè siècle), devient un paradigme au sein des sociétés occidentales. La Raison représente alors une norme et un modèle. |
Transition
Cependant, la Raison n’est pas le fait de toute culture. Si la société occidentale s’appuie sur les paradigmes mathématiques cartésiens, d’autres sociétés ne fondent pas leurs institutions sur la même « base indubitable ». De fait, on en déduit que les paradigmes rationnels qui bercent notre civilisation implique une forme de contingence. En effet, nos paradigmes pourraient être autrement, et ils sont effectivement autres dans d’autres parties du monde et de l’Histoire. Comment les sociétés modernes témoignent-elles d’une déconstruction de la norme rationnelle ? |
3. Réfutation de l’inductivisme par Karl Popper
scientifique
Karl Popper, philosophe du XXè siècle, réalise une réfutation de l’inductivisme dans son ouvrage Conjectures et Réfutations : La croissance du savoir scientifique (1953). Selon lui, l’induction, c’est-à-dire le fait de formuler une loi générale à partir d’un certain nombre de cas particuliers, est un mauvais processus scientifique qui altère le savoir. En effet, il serait impossible de formuler une loi, à partir de l’induction, qui serait universelle, car il est impossible d’observer tous les phénomènes de même nature autour du globe de façon exhaustive. Par conséquent, l’induction n’est pour lui pas recevable. Par ailleurs, il s’oppose à la tradition scientifique qui estime qu’une théorie scientifique doit se rapprocher au maximum de la manière dont les phénomènes se produisent effectivement. Popper récuse alors l’idée selon laquelle une théorie doive dire vrai. Selon lui, pour qu’une théorie soit recevable, elle doit avoir un énoncé correct grammaticalement, de façon à ce qu’elle puisse être réfutée. Le critère de la théorisation scientifique, c’est sa réfutabilité. |
4. Gaston Bachelard : la philosophie du non
Au fil de ses œuvres, Gaston Bachelard déconstruit la Raison au sens où elle est perçue jusqu’alors par la tradition philosophique et épistémologique. Auparavant, la Raison était perçue sous le paradigme cartésien, c’est-à-dire comme une base de connaissances figée et inaltérable. Bachelard, en revanche, axe ses travaux sur la déconstruction de cette vision : il révèle la Raison comme une faculté faite de différentes ruptures au fil du temps, de différentes crises, qui s’étoffe par à-coups et non de façon linéaire. La Raison est selon lui ouverte à l’avenir, toujours capable, dans la conquête de la vérité, de remettre en question les principes sur lesquels elle s’appuyait tranquillement jusque-là. Par conséquent, Bachelard définit le progrès comme une notion qui n’évolue pas de façon linéaire mais de façon relativement hachée. Il marque son apport à une dialectique de la connaissance qui s’oppose donc à une vision figée de la Raison. Il désigne sa pensée comme un « surrationnalisme ». La pensée de Bachelard se fonde sur la dénonciation et la déconstruction des « erreurs et [d]es horreurs de la Raison ». |
B) Peut-on rompre avec les modèles du passé ?
Le concept de modèle se construit à partir du constat qu’il existe des états, êtres ou choses qu’on peut considérer comme exemplaires, parfaits dans leur genre, inégalés, même supérieurs à tout ce qu’on a pu constater. Le passé, comme partie du temps antérieure au présent, renvoie à une certaine impuissance ou passivité, par son caractère d’irréversibilité. Il détermine le présent et l’avenir, et en l’occurrence le passé constitue un modèle à reproduire, un genre d’idéal régulateur. Cependant, pour l’Homme, qu’il soit individuel ou collectif, le passé ne prend sens que par rapport au présent et à l’avenir. Il semblerait alors que la perception que l’on a du passé implique une certaine contingence, car il s’agirait d’une perception subjective : on ne traite pas le passé de la même façon selon ses choix ou même selon l’époque, par conséquent on peut choisir de rejeter ou d’accepter son passé par rapport au présent. |
1. Les Idées, modèles inébranlables
Selon Platon, tous les concepts font partie de ce qu’il nomme le monde intelligible. En effet, il divise la perception du monde en deux domaines distincts : le monde sensible et le monde intelligible. Le monde sensible est celui qui est perçu par les sens, le corps, c’est un monde d’illusions. Le monde intelligible, lui, est perçu par l’esprit, l’âme, c’est ce que Platon appelle le monde des Idées. Une Idée, c’est une Essence, un concept immuable et absolu qui existe de tout éternité. De ce fait, selon Platon, les Idées constituent des modèles qui guident les Hommes dans leur perception. Chaque reproduction de ces Idées dans le monde sensible sera cependant, par définition, imparfaite, car il s’agit du propre d’une reproduction. Peut-on considérer les Idées comme des modèles du passé ? En réalité, si les Idées existent de toute éternité, il ne peut s’agir de modèles passés. Cependant, les reproductions initiales, prises par la suite comme modèles secondaires, constituent des modèles passés avec lesquels il est possible de rompre au fil de l’éveil de l’esprit humain, de l’âme. |
2. Nietzsche, Généalogie de la morale, 1887
Nietzche développe la thèse de l’oubli actif, selon laquelle il est parfois important de faire « une tabula rasa » du passé, afin de redonner une certaine place au nouveau, au présent, à l’immédiat. Par conséquent, selon Nietzsche, il est parfois nécessaire de rompre avec le passé, d’oublier, de faire de la place dans notre conscience pour y ajouter des idées nouvelles. Cette conception pourrait donc être appliquée aux modèles de la technique, aux modèles de pensée. Il semble pertinent de rompre parfois avec les idées désuètes pour aller vers de nouvelles idées, de nouveaux paradigmes, de nouveaux raisonnements. |
|
|
A) La violence est-elle irréductible ?
La violence dans l’Histoire nous introduit dans une dimension collective et non plus individuelle de la violence. L’Histoire, c’est d’abord le devenir historique, mais c’est aussi, d’après le grec « historia » qui signifie « enquête », la connaissance que tente d’établir l’historien. En termes de violence, aucune manifestation de puissance ni de vie, aucun acte, aucun comportement humain ne sont violents par eux-mêmes, indépendamment du pur contexte. Le même phénomène naturel (pluies torrentielles, tempêtes, …) peut être dévastateur ou bénéfique. Les mêmes actions peuvent avoir des significations radicalement opposées selon les situations et les intentions des acteurs. Les manifestations de la violence sont trop dispersées, trop paradoxales pour être significatives par elles-mêmes. Seule une interrogation sur les raisons de la violence peut nous orienter vers ce qui en constitue l’essence. La violence vient du latin violentia, « abus de la force » (de vis, « la force, « la violence »). |
1. Définition de la violence par Aristote
Dans sa Métaphysique, Aristote définit ce à partir de quoi la violence prend négativement sens : la force et la puissance. Pour ce faire, Aristote oppose tout d’abord la notion d’acte (un fait, une expansion d’une chose en acte, une concrétisation de cette chose, energeia) et la notion de puissance (possibilité, pouvoir, faculté, capacité, dynamis). L’acte ne représente ainsi qu’une réalisation de la puissance. Les deux s’opposent d’une certaine manière, mais cette opposition n’est rien à côté de celle qui sépare la force de la violence ou la puissance de la violence. La violence naît lorsqu’il y a déséquilibre entre acte et puissance. Elle apparaît précisément dans et par le dépassement de la puissance par la force ou l’acte. La violence apparaît bien comme un excès de puissance, comme une non-maîtrise de celle-ci. |
B. Où s’inscrit-elle ? individu & société
1. Freud, Malaise dans la culture, 1930
Freud, dans ce texte, inscrit la violence à travers les pulsions qui sont au fondement même des penchants de l’individu. Selon lui, chaque être humain dissimule une forte tendance à l'agression envers son semblable et ne peut s’empêcher d’exploiter autrui. Il rappelle le fameux « Homo homini lupus » de Plaute. Les passions et pulsions seraient plus fortes que les intérêts rationnels des individus, et c’est ce qui créerait cette tension à laquelle doit répondre la culture, la civilisation. En effet, la civilisation doit avoir comme objectif de poser des limites solides à ces pulsions d’agression. Elle sert à détourner ces pulsions afin de les faire se manifester dans des activités psychiques notamment.
Penchant : prédisposition naturelle à être attiré par qqch
Inclination : expérimentation qui vient confirmer ou perturber le penchant
Tendance : répétition, habitude de l’inclination
Passion : tendance qui a éliminé toute concurrence |
|
|
Utopie et dystopie : où va le monde ?
Chercher à donner du sens aux choses, au monde, à la vie même, reste une préoccupation éminemment humaine dont le concept d’utopie et son inverse la dystopie retracent le souci. Le préoccupations religieuses manifestent déjà, dans les siècles antérieurs, la possibilité d’un lieu hors du temps, un lieu après le temps, un lieu idéal, parfait, qui viendrait achever notre part d’existence. L’utopie apparaît ainsi déjà en creux dans le souci d’une vie après la mort, dans l’attente d’une vie meilleure, heureuse et gratifiante, en un lieu hors du temps.
|
|